Un mammifère à épines vieux de 127 millions d’années découvert en Espagne


Des épines de hérisson, des plaques dermiques de pangolin, les pattes fouisseuses et la colonne vertébrale du tatou… Si l’animal découvert en Espagne peut bien ressembler, au premier regard, à un jeune rat – 50 à 70 g, 25 cm –, c’est de tout autre chose qu’il s’agit. D’une nouvelle espèce, susceptible de revisiter l’histoire du poil et des épines chez les mammifères. Mais aussi d’une occasion unique de regarder, comme si vous y étiez, les poumons et l’oreille d’une bestiole vieille de 127 millions d’années. La trouvaille vaut à l’équipe internationale qui l’a réalisée les honneurs de la revue Nature.
Du site de Las Hoyas, les paléontologues avaient déjà extrait quelques merveilles. Depuis 1986, les anciens marécages, situés entre Madrid et Valence, avaient offert à la communauté scientifique des milliers de fossiles du Crétacé inférieur. « Un terrain d’une richesse incroyable, souligne Romain Vullo, un des auteurs de l’article, chargé de recherches au laboratoire Géosciences du CNRS, à Rennes. Plantes aquatiques et terrestres, insectes, poissons, amphibiens, crocodiles, dinosaures, on avait trouvé de tout… Il ne manquait que les mammifères. »
Les tissus mous conservés
C’est désormais chose faite. Découvert en 2011, puis étudié pendant plusieurs années, le fossile a accouché d’un mammifère inconnu. Spinolestes tire son nom des courtes épines qui recouvrent le haut de son dos. Un événement à lui seul, puisque les plus anciennes épines trouvées jusqu’ici sur un mammifère n’avaient « que » 65 millions d’années. Avec ce quasi-doublement, les scientifiques ont acquis la preuve que poils et épines sont différenciés depuis le Crétacé inférieur. Mais aussi que ce processus s’est déroulé indépendamment chez plusieurs espèces. En effet, si hérissons et porcs-épics disposent de piquants composés eux aussi de fusions de poils, Spinolestes ne constitue en rien leur ancêtre. Le groupe des eutriconodontes, auquel il appartient, a été entièrement décimé par la grande extinction Crétacé-tertiaire qui élimina les dinosaures et 70 % de la faune. Il n’a donc laissé aucune descendance.

Les piquants ne parsemaient toutefois qu’une petite partie de la peau de l’animal. L’essentiel était recouvert d’un pelage doux et dense, semblable à celui d’un chien, avec des poils « composés » (un poil primaire entouré de poils secondaires). Ailleurs, cette pilosité s’était agglomérée, formant ce que les chercheurs ont nommé des « écussons dermiques », sorte de plaques de protection ovales et rigides, faites de kératine, que l’on retrouve notamment chez le pangolin.

Si l’enveloppe externe de spinolestes constitue la nouveauté la plus spectaculaire, la gangue marécageuse a livré beaucoup d’autres secrets. « L’animal a été miraculeusement bien préservé, insiste Romain Vullo, une véritable momification minérale. Non seulement le squelette et les dents, ce qui est classique, le pelage, ce qui est plus rare, mais plus exceptionnel encore, les tissus mous. » Côté dents, ont été relevées des quenottes à trois pointes, peu différenciées, propres aux mammifères primitifs ; côté squelette, une étrange articulation supplémentaire des vertèbres, réservée jusqu’ici aux paresseux, tatous et fourmiliers. Les poils, on l’a vu, ont offert leur lot de surprises. Mais les chercheurs ont surtout pu retrouver les tissus mous en recueillant notamment un véritable moulage de l’oreille externe, ce pavillon façon Mickey, caractéristique de nombre d’animaux actuels. « Ça n’a l’air de rien, mais jusqu’ici, nous ne pouvions que supposer que les premiers mammifères en étaient pourvus, explique le paléontologue. A présent, nous en avons la preuve. »
Le système respiratoire déjà en place
Preuve encore : la structure des poumons. Vraisemblablement noyé dans les marais de ce paysage d’Everglades, l’animal a vu ses organes respiratoires remplis de sédiments. Ce n’est donc pas seulement l’extérieur, mais l’intérieur des poumons, et notamment des minuscules bronchioles, qui ont été fixés. « Nous avons pu étudier la structure au microscope électronique et la décrire. Là encore, c’est une première », se réjouit Romain Vullo. Les chercheurs ont également pu délimiter l’emplacement du diaphragme et conclure que le système respiratoire si particulier des mammifères était déjà en place à l’ère Mésozoïque.
Deux petits détails, enfin. Les scientifiques ont mis en évidence un résidu mou riche en fer. Très probablement le reste de ce qui fut un foie. Et quelques poils tronqués, typiques des dermatophytoses, ces infections cutanées dont souffrent nombre de mammifères actuels, notamment les hommes. Mais de là à conclure que Spinolestes avait trempé ses pattes dans une piscine…

Source: www.lemonde.fr