Syrie : trois scénarios possibles pour Obama face au Congrès


Dix jours de déclarations menaçantes avant ce qui pourrait ressembler à une reculade. Barack Obama a annoncé, dimanche 1er septembre, qu'il attendrait un vote du Congrès – qui ne se réunit qu'à partir du 9 septembre – avant une éventuelle intervention militaire en Syrie.
Pourquoi cette décision d'Obama ?
Malgré l'évocation d'une possible "action unilatérale" sans le Royaume-Uni, le refus des parlementaires britanniques de participer à une opération internationale sans l'aval de l'ONU – bloquée par la Russie et la Chine – a refroidi les ardeurs du président américain. Si la France a bien annoncé qu'elle était prête à participer à des frappes contre le régime syrien, Barack Obama craint tout de même d'être isolé sur la scène internationale et recherche encore des alliés pour sa coalition.

Mais, surtout, l'hypothèse de frappes militaires n'a pas encore convaincu l'opinion publique américaine. Plusieurs sondages publiés à la fin d'août ont montré que moins d'un quart des Américains étaient pour une intervention (29 % en cas de "preuves irréfutables" de l'usage d'armes chimiques par Damas). Bien que cette proportion ait légèrement augmenté au cours des derniers jours du mois d'août (+ 11 points en une semaine), l'idée est encore très impopulaire.

Lire le décryptage : "Des opinions publiques peu favorables à une intervention en Syrie"

Les études montrent toutefois que près de 80 % des citoyens américains désirent avant tout que Barack Obama obtienne le feu vert du Congrès, bien qu'il n'y soit pas contraint par la Constitution américaine pour lancer une intervention. L'approbation des parlementaires permettrait à la Maison Blanche de partager la responsabilité décisionnaire et de ne pas apparaître seule contre tous, dix ans après la guerre en Irak. Le recours au Congrès est toutefois un pari politique risqué.

Quel est le rapport de force au Congrès ?
Le Congrès américain est composé de deux chambres : le Sénat et la Chambre des représentants. Dans le premier, le camp démocrate d'Obama est majoritaire, avec 53 élus (contre 45 républicains), auxquels s'ajoutent deux indépendants votant généralement avec les démocrates. Dans la seconde, ce sont les républicains qui sont majoritaires, avec 233 sièges (contre 200 démocrates). Pour être approuvée, la résolution proposée par la Maison Blanche doit recueillir la majorité dans les deux chambres.

Plus de 170 parlementaires républicains et démocrates avaient réclamé avec insistance la consultation du Congrès, mais leurs positions respectives, sur le bien-fondé ou non des frappes, sont pour le moment plus difficiles à cerner, les élus étant éparpillés dans tout le pays à la faveur des congés estivaux. Selon le Washington Post, ils sont globalement divisés entre ceux qui veulent intervenir dès maintenant, ceux qui souhaitent une intervention plus ambitieuse pouvant aller jusqu'au renversement d'Al-Assad, ceux qui réservent leur avis, les sceptiques et les opposants déclarés.

Côté démocrate, le sénateur Robert Menendez, président de la commission des affaires étrangères, a récemment affirmé que "le régime syrien et les autres [Etats] comme lui doivent comprendre que les lignes rouges sont indélébiles [et que les] ennemis [des américains] ne doivent jamais douter de la résolution des Etats-Unis". "Nous devrions frapper la Syrie aujourd'hui", a même affirmé un autre démocrate, Bill Nelson. Mais les opposants à la guerre au sein du parti ne sont pas quantité négligeable, et d'autres se sont montrés plus circonspects, se disant simplement "ouverts au débat", tel le sénateur Richard Durbin.

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Côté républicain, nul doute que nombre d'entre eux rechigneront à soutenir politiquement Obama, alors que d'autres dossiers brûlants sont à l'ordre du jour de la rentrée parlementaire (dette, budget, immigration...). Mais le Parti républicain est lui-même divisé. Certains sont restés prudents après l'annonce de M. Obama, comme Howard McKeon, président de la commission de la défense de la Chambre des représentants : "J'apprécie la décision du président. L'autorisation pour l'usage de la force dépendra de la capacité du président à fixer des objectifs militaires clairs", a-t-il déclaré. D'autres, comme les sénateurs John McCain et Lindsey Graham, ont d'ores et déjà averti qu'ils voteraient contre toute résolution trop timorée, qui ne viserait pas à ébranler le pouvoir de Damas.

Quand les parlementaires américains voteront-ils ?
La rentrée parlementaire est prévue lundi 9 septembre. Les deux chambres du Congrès commenceront à examiner séparément, en séances plénières, le projet de résolution autorisant le président à user de la force pour empêcher l'utilisation ou la prolifération d'armes chimiques.

Le chef de la majorité démocrate au Sénat, Harry Reid, s'est engagé à ce que les sénateurs votent la résolution dans les jours qui suivront. Quant au vote à la Chambre des représentants, sa date n'est pas encore fixée, et il pourrait prendre un certain temps si les républicains ne parviennent pas à s'accorder sur une position commune.

En attendant l'ouverture des débats en séance plénière, deux poids lourds de l'administration américaine viendront défendre dès mardi 3 septembre le parti de l'intervention militaire devant une commission du Sénat : le secrétaire d'Etat, John Kerry, et le secrétaire à la défense, Chuck Hagel.

Quels scénarios possibles ?

Le recours au Congrès a d'ores et déjà été interprété comme le "début d'une retraite historique des Etats-Unis" par le gouvernement syrien.

Scénario 1 : feu vert du Congrès. Le Sénat et la Chambre des représentants approuvent le projet de résolution. Dans ce cas, Barack Obama sort renforcé de l'épreuve politique et possède une pleine légitimité pour lancer des attaques contre la Syrie. Il devra ensuite batailler, sur le front diplomatique, avec les alliés de la Syrie et tous ceux qui désapprouvent une intervention sans l'aval des Nations unies. La Russie a ainsi averti que des frappes contre Damas "déstabiliseraient l'ordre mondial", et l'Iran a prévenu que les intérêts américains seraient "menacés".

Lire le point de vue d'Etienne Copel, ancien sous chef d'état-major de l'armée de l'air : "Les éventuels scénarios d'une opération militaire"

Scénario 2 : refus du Congrès, mais Obama passe outre. Poussés par une opinion publique pour l'instant défavorable à une intervention militaire, l'une ou les deux chambres du Congrès pourraient ne pas approuver la résolution. Ce désaveu mettrait M. Obama face à un dilemme : soit respecter la décision des parlementaires (et, au-delà, l'opinion publique), soit rappeler ses déclarations précédentes, selon lesquelles les règles internationales (dont l'interdiction des armes chimiques) ne doivent pas être bafouées, sous peine de perdre toute valeur et d'être allègrement transgressées par d'autres.

En annonçant son recours au Congrès, M. Obama a pris soin de préciser qu'il pouvait se passer de l'accord des parlementaires. Commandant en chef de l'armée, il peut prendre seul la décision d'une opération militaire. Le Congrès n'est nécessaire qu'en cas de déclaration de guerre formelle et peut "cadrer" les interventions déjà existantes (durée, moyens, etc.). Autrement dit, le président peut librement choisir de "faire la guerre", mais pas de "déclarer la guerre" – une nuance importante, qui a permis à George W. Bush d'intervenir en Irak sans l'aval des parlementaires. Cette interprétation est toutefois régulièrement critiquée, et des actions en justice sont intentées afin que la Cour suprême se prononce sur ce point.

Scénario 3 : refus du Congrès, et Obama respecte la décision. Confronté au refus du Congrès, à une opinion publique défavorable et à une communauté internationale sceptique, Barack Obama pourrait faire machine arrière et renoncer à des frappes, même ciblées.

Le président américain et les Etats-Unis sortiraient forcément décrédibilisés de cette épreuve, et Damas exulterait – le recours au Congrès a d'ores et déjà été interprété comme le "début d'une retraite historique des Etats-Unis" par le gouvernement syrien. Pour sauver la face, Barack Obama pourrait chercher à imposer de nouvelles sanctions contre la Syrie ou bien tenter une solution politique avec une conférence de paix, à laquelle appelle la Russie. Pas de quoi empêcher l'armée syrienne de lancer de nouvelles attaques à l'arme chimique.

Source: www.lemonde.fr