Gêne et consternation en France après l'exil de Depardieu




L'octroi de la nationalité russe à Gérard Depardieu et la lettre dithyrambique de l'acteur français envers le régime russe ont suscité sarcasmes et critiques en Russie comme en France.
Lire : La lettre de Depardieu suscite des sarcasmes en Russie

En France, des responsables politiques ou syndicaux et quelques rares intellectuels ont également pris la parole pour critiquer la soudaine passion de l'acteur pour le régime de Vladimir Poutine.

Le philosophe français André Glucksmann a déclaré avoir "honte" pour l'acteur, dans l'édition en ligne du quotidien berlinois Tagesspiegel. "J'ai honte pour lui", a affirmé M. Glucksmann, reprochant à Depardieu d'entretenir une relation étroite avec le président russe ainsi qu'avec Ramzan Kadyrov, le président prorusse de Tchétchénie.

Sans fournir de précisions, l'écrivain accuse l'acteur "de toucher de l'argent" de la part de M. Kadyrov et désormais d'obtenir "un passeport sur intervention extraordinaire de Poutine". M. Glucksmann espère cependant que le soutien de la Russie au régime Assad, ainsi que les condamnations prononcées à l'encontre du groupe de punk-rock des Pussy Riot pousseront la star française à changer d'opinion à l'égard du pays.

La présidente du Medef, Laurence Parisot, a quant à elle souhaité vendredi que la polémique sur l'exil fiscal de Gérard Depardieu "se calme" et que l'acteur annonce "un jour" son retour en France. "Je crois que c'est surtout une histoire personnelle, celle de Gérard Depardieu, qui est tragique aujourd'hui. C'est quelque chose qui m'attriste beaucoup", a-t-elle déclaré sur RMC/BFMTV.

"Les commentaires sont allés trop loin à son égard, même si lui est certainement tout à fait excessif dans ses déclarations", a affirmé la présidente du principal syndicat patronal français. "Je trouve qu'il serait bon que tout ceci se calme et qu'un jour Gérard Depardieu calmement dise : 'Je reviens'", a-t-elle ajouté.

Jean-Claude Mailly, le secrétaire général du syndicat Force ouvrière, a pour sa part déploré le "comportement" du comédien et le fait qu'il ait qualifié la Russie de Vladimir Poutine de "grande démocratie". "Ce qui me rend triste, c'est le comportement de Gérard Depardieu. Je trouve cela triste de dire, comme il l'a dit, que la Russie est une grande démocratie. Je préfère Pussy Riot à Gérard Depardieu dans le cas présent."

Le député socialiste Christophe Cambadélis, préfère minimiser une polémique attisée fin 2012 par une déclaration du premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui a jugé "minable" la décision de Gérard Depardieu de prendre domicile dans une bourgade frontalière belge pour échapper à l'impôt en France.

"Il voulait déjà devenir belge. Donc je me suis dit que Poutine n'était pas la Grande Catherine et que Depardieu n'était pas Diderot [ni] Voltaire", a-t-il ironisé sur RTL. "Il ne faut pas donner à cette affaire plus d'importance qu'elle n'en a. C'est une citoyenneté russe de papier. Je pense que le cœur de Depardieu restera français", a-t-il ajouté.

L'ancien ministre Claude Guéant (UMP) a vu dans le départ de Gérard Depardieu le signe que "quelque chose ne va pas" en France. Sur RMC, le proche de Nicolas Sarkozy a estimé qu'en accueillant l'acteur, le président Vladimir Poutine "visiblement, fait un pied de nez à la France", ce qui "traduit des relations diplomatiques avec la Russie dégradées depuis l'arrivée de François Hollande au pouvoir, et c'est dommage: la Russie est un immense pays" qui "peut jouer un rôle considérable" dans "la pacification de régions". "D'autres pays se montrent plus accueillants que nous à ceux qui innovent, qui créent, qui produisent de la richesse et des emplois", a poursuivi l'ancien secrétaire général de l'Elysée.

Le député UMP Henri Guaino, qui fut conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, a déclaré vendredi sur Europe 1 : "Je ne veux plus parler de cette affaire un peu pathétique. S'il veut devenir russe, qu'il devienne russe. Quand on aime son pays, on essaye de le servir, éventuellement de le transformer". "On commence dans la révolte fiscale, on finit par le passeport russe"...

L'ancienne ministre UMP Chantal Jouanno, aujourd'hui sénatrice sous l'étiquette centriste UDI, a estimé que Vladimir Poutine avait fait un "coup politique majeur" en signant un décret accordant la nationalité russe à l'acteur.

Le président russe "veut se réinscrire dans cette vision d'une Russie qui est une terre d'immigration", a-t-elle estimé sur Radio Classique. "Pour autant, sur un plan plus personnel, je trouve que d'un côté comme de l'autre, tout cela n'est pas très glorieux", a-t-elle ajouté. "Cela me gênait beaucoup moins qu'il soit belge."

L'actrice française d'origine russe Macha Méril a pour sa part estimé que la Russie de Vladimir Poutine avait accordé la nationalité à l'un des acteurs français les plus célèbres du moment dans le cadre d'une opération de racolage destinée à accroître sa respectabilité.

Les dirigeants russes "ont commencé – surtout depuis Poutine – à draguer les enfants d'immigrés de la première génération de la diaspora, c'est-à-dire ceux qui ont des noms prestigieux qui rappellent l'histoire de la Russie, dont ma famille", a-t-elle déclaré à Europe 1.

"C'est vrai que Gérard a quelque chose qui ressemble à la Russie d'aujourd'hui", a-t-elle estimé. Mais "je crois qu'il n'est pas tout à fait lucide. Il doit être aveuglé par la façon dont on le reçoit là bas." La Russie, "c'est une mentalité qui lui plaît. La mentalité de ceux qui ont les moyens, avec un faste un peu vulgaire (...) Peut-être que Gérard ne voit pas qu'à 50 m de là, la majorité de la population vit sous le seuil de la pauvreté", a ajouté la comédienne, qui s'est dit "navrée".

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a reproché à Gérard Depardieu "une insulte au peuple russe" et "au peuple français". Interrogé sur France Inter, le numéro un de la CFDT a jugé l'attitude de l'acteur français "pathétique". "J'avais dit que je trouvais ça scandaleux le départ en Belgique, là aujourd'hui, dire que la Russie est un grand régime démocratique, je trouve ça pathétique. C'est une insulte au peuple russe et aux démocrates russes qui se battent tous les jours, et un peu une insulte au peuple français."

Source: www.lemonde.fr