L'Espagne ferme ses portes aux Roumains


La Commission européenne autorise Madrid à restreindre l'accès à son marché du travail.

C'est un nouveau coup de canif à la libre circulation en Europe: au nom du marasme économique, Bruxelles a autorisé jeudi l'Espagne à restreindre l'accès des Roumains à son marché du travail jusqu'à la fin 2012. En clair, Madrid pourra imposer des permis de travail aux Roumains, en faisant jouer une «clause de sauvegarde» de son marché de l'emploi.

C'est la première fois que cette clause est invoquée en Europe. Pour l'Espagne, le virage est net: en 2009, deux ans après l'élargissement de l'UE à la Roumanie et à la Bulgarie, elle avait fait le pari de lever toutes les restrictions à l'arrivée de travailleurs de ces deux pays. À l'inverse, dix États membres - dont la France et l'Allemagne - ont préféré une ouverture progressive de leur marché du travail, maintenant un régime de permis jusqu'à 2013.

30% de Roumains sans emploi
Mais la crise est passée par là, au point que l'Espagne fait aujourd'hui figure de candidat potentiel à un plan de sauvetage européen. La croissance a reculé de 3,9% entre 2008 et 2010, et le taux de chômage dépasse 20% depuis mai 2010. «La hausse continue du nombre de résidents roumains en Espagne et leur niveau de chômage élevé ont eu une incidence sur la capacité du pays à absorber de nouveaux flux de travailleurs», note la Commission. Le pays comptait plus de 800.000 Roumains au 1er janvier 2010 (soit plus du double qu'en 2006), dont 30% sans emploi. Ceux qui se trouvent déjà sur place ne sont pas concernés pas la mesure annoncée hier.

Bruxelles voit dans cette décision un cas de figure unique. «Nous n'avons pas reçu d'autres demandes, nous ne nous attendons pas à en avoir d'au­tres», a affirmé une porte-parole de la Commission, Chantal Hughes, en promettant de «continuer à défendre la libre circulation partout en Europe».

Mais avec la crise, la tentation semble grande de rogner sur cet élément fondateur de la construction européenne. Le Danemark, qui prendra les rênes de la présidence tournante de l'UE en janvier 2012, fait depuis mai l'objet de vives critiques pour sa décision unilatérale de réintroduire des contrôles aux frontières avec l'Allemagne et la Suède. Officiellement, il s'agit de lutter contre la criminalité organisée. Berlin et Stockholm y voient surtout une dérive sécuritaire destinée à satisfaire le Parti du peuple danois en période préélectorale. L'Allemagne a ainsi demandé mercredi au Danemark de surseoir à la décision de construire des postes frontières, qui «soulève des problèmes de compatibilité avec le traité de Schengen».

Au printemps, la France avait elle aussi fait des vagues en décidant de rétablir temporairement ses frontières avec l'Italie face à la régularisation par Rome de quelque 25.000 Tunisiens. Bruxelles, tout en déplorant une entorse à «l'esprit» de Schengen, se prépare à en ajuster les règles. Les États membres ont chargé la Commission d'élaborer des critères permettant de déroger au principe de libre circulation en cas de pression migratoire «forte et inattendue». Les conclusions sont attendues en septembre.