Comment faire craquer son prof


Le magazine de Canal + Lundi Investigation vient de consacrer un sujet aux « profs qui craquent« . 52 minutes assez classiques, où sont passées en revue des cas de violence scolaire ordinaire, du lycée Camille Claudel de Mantes-la-Ville, où, en mai dernier, un jeune avait agressé deux élèves et un enseignant, au collège Martin Luther King de Calais, où deux bombes artisanales avaient été jetées contre une surveillante en avril. On y reparle de Karen Montet Toutain, poignardée en 2005, et l’on rappelle que la massification de l’enseignement, décidée dans les années 1980, en intégrant de nouveaux profils d’élèves, issus de milieux moins favorisés, peut aussi expliquer une partie des flambées de violence auxquelles doit faire face l’Education nationale. Intéressant, mais connu.

Trois aspects retiennent l’attention dans ce documentaire. D’abord, une heure dans une classe d’anglais de seconde, avec une enseignante du lycée Camille Claudel. L’appel est effectué au bout de 12 minutes de chahut, au cours desquels on réalise à quel point il est dur de faire simplement asseoir les élèves. Les premiers mots d’anglais sont prononcés au bout de 19 minutes, et sont couverts par les remarques variées des élèves. Alors que le cours n’est pas encore fini, la prof court après un lycéen qui est tout simplement déjà dans le couloir, prêt à sortir… Le pire, c’est le verdict de l’enseignante à l’issue de l’heure : « On s’en est pas trop mal sortis, j’ai pu faire trois exercices, ils ont joué le jeu… » Ha bon? Et quand ça se passe mal, alors, ça donne quoi?

Le deuxième point intéressant, ce sont les vidéos, prises sur youtube ou dailymotion, qui expliquent comment « faire craquer son prof » ou mettre « le bordel en cours ». Pleins de petits trucs et astuces imparables pour rendre dingue les enseignants… Bien pratique, donc. On peut ainsi « faire l’autruche » (au signal, tout le monde plonge la tête sous sa table), organiser des rondes dans la classe, se rendre à la poubelle en skate… Cette plongée dans la réalité de la classe, filmée sans forcément beaucoup se cacher, fait froid dans le dos. « Les pauvres », ne peut-on s’empêcher de penser… Et aussi : « Mais comment font-ils pour tenir? » Une enseignante victime de cyberbulling, autrement dit de harcèlement virtuel, revient sur son calvaire. Maigre et dotée d’un très léger handicap à la main, elle raconte comment sa classe d’allemand a créé un site qui la ridiculisait, la présentait en squelette et évoquait l’assassinat de ses enfants (au sens figuré, car elle n’en avait pas). L’auteur du site a été exclu 4 mois. Elle, quatre ans après, en tremble encore, et travaille désormais pour le CNED, où elle corrige des copies…

Ici, la vidéo de Comment faire craquer un prof (vue plus d’un million de fois…)

Enfin, les journalistes, Mathieu Sarfati et Jean-Pascal Bubleix, se sont rendus au Canada, pays montré en modèle pour avoir su, semble-t-il, trouver une issue à ces problèmes et empêcher les élèves de « se chicaner » – désolée, l’accent canadien me fascine… A Montréal, au collège Honoré-Mercier, on entre dans une classe de français où les enfants étudient dans un silence presque suspect – évidemment, les caméras modifient toujours le comportement des élèves, vers plus de calme ou au contraire plus d’agitation. Ils sont en uniforme cool, à savoir un simple T-shirt en commun. Il y a encore 5 ans, nous dit un enseignant, ici, c’était le bazar complet. La recette du succès : autorité, apprentissage de l’estime de soi, permis à point avec infractions et sanctions (avec aussi la possibilité de rattraper les points perdus et d’obtenir une récompense) et enfin, responsabilisation des « caïds« . J’avais déjà observé une expérience similaire à New-York, lors d’un reportage dans le Bronx et Harlem. Pour neutraliser les éléments les plus perturbateurs, on leur confie une charge (bibliothèque, atelier musique, gestion de la sortie de classe…), en partant du principe que ces leaders peuvent mettre leur charisme et leur aura au service d’une cause plus efficace qu’allumer le feu et rendre leurs profs zinzins. Il semblerait que cela fonctionne.

Evidemment, c’est un peu court pour trouver des solutions aux difficultés des profs français, mais ce sujet a le mérite d’ouvrir des pistes et de pointer des incohérences, notamment la masterisation et le manque criant de formation des nouveaux profs. Le documentaire sera rediffusé sur Canal + décalé (mercredi à 3 h 07, venddi à 12 h 28, samedi à 5 h 44, dimanche à 17 h 42). La bande annonce est ici