"Une nouvelle loi sur les langues régionales n'est pas forcément nécessaire"


En 2008, Christine Albanel, alors ministre de la culture, promet une loi sur les langues régionales. Un texte qui, en février 2010, n'est toujours pas à l'ordre du jour... Xavier North, délégué général à la langue française et aux langues de France, s'explique sur le sujet.
Faut-il considérer les propos de Christine Albanel comme une promesse de Gascon?
Non. Il faut simplement comprendre que le contexte, depuis 2008, a changé -et changé en bien! Car, depuis, pour la première fois, la Constitution stipule, dans son article 75-1 que "les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France." Dès lors, il faut se demander si les deux raisons qui poussaient à la création d'une loi sont encore valables.
Quelles étaient ces deux raisons?
La première était de donner au patrimoine linguistique une forme institutionnelle. Le moins que l'on puisse dire est que cet objectif est désormais rempli: la Constitution n'est-elle pas la loi suprême ? La seconde consistait à rassembler, au sein d'un même texte, des dispositions existantes, mais éparses: les langues régionales sont en effet évoquées dans les lois sur l'école, l'audiovisuel, etc. Cette question-là n'est pas tranchée. D'autant qu'il n'est pas certain que de nouvelles dispositions soient nécessaires.
Comment cela ?
L'arsenal juridique français sur ce sujet étant déjà très riche, une nouvelle loi sur les langues régionales n'est pas forcément nécessaire. Il suffirait que l'on utilise de manière plus volontariste celles qui existent. C'est le sens de la réponse qu'Eric Besson a adressée à l'Assemblée nationale à la députée Martine Faure: "La conviction du ministre de la culture et de la communication est que le cadre législatif laisse d'importantes marges de manoeuvre qui ne sont pas toujours exploitées. C'est pourquoi le gouvernement s'interroge sur la pertinence d'une intervention législative supplémentaire."
Ce que beaucoup ont traduit comme un enterrement de la loi en bonne et due forme et une marque d'indifférence totale de Frédéric Mitterrand à ce sujet, qui n'a même pas pris la peine de répondre...
Pas du tout. Le ministre était au même moment au Sénat. Le problème était purement conjoncturel. Signe de son intérêt pour le sujet: il vient d'inaugurer le salon Expolangues (qui se tient en ce moment à Paris, ndlr), dont l'invité d'honneur était le catalan, qui est aussi une langue de France. Sa conviction profonde est que les langues régionales ont droit de cité. Comme il l'a indiqué dans son discours, défendre la diversité linguistique, "c'est défendre la richesse et la variété irréductibles de l'expérience humaine."
Les actes suivront-ils les discours ? La situation du catalan est florissante en Espagne, alors qu'elle est alarmante en France...
On ne peut pas comparer une nation unitaire comme la nôtre et des pays fortement décentralisés, voire fédéraux, comme l'Espagne, le Royaume-Uni ou l'Allemagne. Le territoire métropolitain compte au moins une dizaine de langues régionales, voire 20 si l'on reconnaît la diversité des langues d'oc et des langues d'oil. Accorder des droits opposables à une langue supposerait évidemment de les étendre à toutes, ce qui porterait atteinte à l'indivisibilité de la République et d'unicité du peuple français, selon les termes du Conseil constitutionnel, qui s'est opposé pour cette raison en 1999 à la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Ce qui prouve que la France est restée profondément jacobine, même si elle a changé de méthode. Après avoir ouvertement combattu les langues régionales, ne les laisse-t-elle pas aujourd'hui mourir à petit feu ?
Vous ne pouvez pas dire cela. Ce qui est exact, c'est que, pour la première fois depuis des siècles, ces langues ne se transmettent plus de manière naturelle dans les familles et que leur avenir dépend donc essentiellement de mesures collectives. Mais, encore une fois, il existe beaucoup de dispositions en ce sens.
Toutes les familles qui le souhaitent ne peuvent toujours pas trouver dans l'école de leur ville un enseignement en langue régionale...
Non. Mais il s'agit davantage d'un problème financier que d'un problème législatif.
Est-ce à l'Etat ou aux collectivités locales de trouver l'argent?
Aux deux. C'est ainsi en tout cas que l'on peut interpréter la volonté du Parlement. Celui-ci a en effet estimé que les langues régionales appartenaient au patrimoine de la France -ce qui crée une obligation pour l'Etat de s'en préoccuper- mais en prenant soin de placer cet article au sein du titre XII de la Constitution, qui concerne les collectivités territoriales.
C'est donc aux élus des régions concernées de se mobiliser?
Oui, sachant qu'ils trouveront le gouvernement à leurs côtés. C'est ce que montre l'exemple réussi de l'office public de la langue basque, qui réunit à la fois l'Etat (à travers trois ministères), le conseil régional d'Aquitaine et le conseil général des Pyrénées-Atlantiques. Cet office obtient des résultats tout à fait exemplaires, et ce dans le cadre législatif actuel. Rien n'empêche de le généraliser aux autres langues régionales de notre pays.
Tout de même : les mesures actuelles ne sont-elles pas trop timides, compte tenu de la menace objective qui pèse sur l'avenir des langues régionales ?
Une langue écrite ne meurt jamais, comme l'a montré l'exemple de l'hébreu, redevenu langue vivante après la création d'Israël. Mais il y faut, c'est vrai, une volonté des peuples qui les parlent. Il ne faut pas tout attendre des pouvoirs publics: l'avenir des langues régionales françaises dépend en grande partie de la volonté des locuteurs.

Source: www.lexpress.fr