Michael Moore appelle à l'insurrection


Des émotions très diverses. Hong-Kong nous a donné un thriller incroyablement classieux, Yi ngoy (Accident), de Soi Cheang, un proche de Johnnie To.

La France de Claire Denis a frappé fort avec White material, dans lequel Isabelle Huppert, comme toujours épatante, incarne une propriétaire de plantation de café dans un pays africain soumis à de subites et terribles violences. Nous y reviendrons.

Mais ce sont sans doute les Etats-Unis de Michael Moore qui ont suscité le plus grand emballement médiatique. Parce que c'est vraisemblablement le meilleur Michael Moore. Et parce que son sujet, la crise financière planétaire, nous concerne tous.

Capitalism : a love story ne surprendra pas outre mesure les habitués du cinéma de Moore. C'est un documentaire délibérément subjectif et militant. Un nouvel exemple de la maestria, tout en panache, en drôlerie (nombreux moments de franche hilarité), et parfois en cabotinage, du Robin des bois américain. C'est une leçon d'histoire contemporaine destinée aux inconditionnels de l'école buissonnière. C'est plein d'excès, de démagogie, et de cet entêtement à vouloir convertir qui peut provoquer le rejet.

Seulement ici, Moore, qui se met un peu en retrait, n'a jamais été aussi crédible, et pour cause : la bataille contre le capitalisme est l'affaire de sa vie, et l'introduction de son film en témoigne. Il y a vingt ans très exactement, Moore réalisait son premier film (Roger and me) dans sa ville natale de Flint, dans le Michigan. Il y dénonçait à l'époque les licenciements massifs décidés par General Motors, en pointant le caractère vénal de ces décisions arbitraires.

L'homme y était sacrifié sur l'autel du profit maximal.

Seulement voilà, constate Moore, depuis un certain 15 septembre 2008, les choses se sont aggravées, à tel point que le virus contamine aujourd'hui la planète entière. Et que les contribuables sont appelés, aux Etats-Unis comme - souvent - ailleurs, à sauver les banques.

Jusque là, rien de neuf que nous ne sachions. Mais Michael Moore va plus loin. Mène l'enquête. Rencontre des experts, sénateurs en colère, observateurs critiques et développe sa thèse : le krach boursier est un coup d'Etat financier. Un complot d'une ploutocratie pour plumer, toujours plus, les damnés de la Terre. Et Moore d'installer sa caméra à l'intérieur de maisons de « pauvres ». Il filme leur expulsion et la saisie de tous leurs biens.

Une sénatrice témoigne à chaud : « Ne quittez pas vos maisons. A la limite, squattez-les ! » Incroyable, commente Moore, surpris d'entendre au cœur de la crise un appel politique à la désobéissance. Lui va plus loin : et invite à l'insurrection pure et simple, à la révolution, en constatant, dit-il, que le capitalisme est un système qui a échoué, qu'il faut le détruire totalement et tout reconstruire, autrement. Et de montrer l'exemple, en conclusion du film, en débarquant devant la Bourse de Wall Street à la façon d'un shérif, un sac en plastique à la main et un parlophone à la bouche : « Je viens chercher l'argent que vous avez volé au peuple américain. Allez, vous allez gentiment rendre l'argent, le placer dans ce sac et tout va très bien se passer. » Incompréhension des vigiles, perdus. Moore est repoussé. Mais revient plus tard, en ceinturant le quartier des affaires du célèbre ruban jaune, sur lequel on peut lire : « Scènes de crime. Ne pas franchir. » Le film s'achève dans une profession de foi presque lyrique, tandis que défilent des images des gueux de la Nouvelle-Orléans dépouillés par Katrina - ceux-là n'ont pas eu droit à un plan de sauvetage.

Dans un esprit que n'eut certainement pas renié le Frank Capra de Vous ne l'emporterez pas avec vous, Moore en appelle pour finir à l'héritage de Roosevelt. Et conclut, faussement humble : « voilà, le film est terminé. Je ne me fais pas trop d'illusions. Il ne pourra pas grand-chose. Vous allez rentre chez vous et la vie va reprendre. A moins que... A moins que vous vous, en sortant de la salle décidez de vous joindre à l'insurrection. » Générique... ponctué par l'Internationale.


Source: www.lesoir.be